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 PRESENCE ESPAGNOLE A TUNIS

 

PRESENCE ESPAGNOLE A TUNIS

 

Slimane Mostafa Zbiss

 

 

En liaison depuis des millénaires avec les peuples vivant sur les différents rivages baignés par la Méditerranée, la Tunisie, (Tunis, plus particulièrement), fut, à des degrés divers, touchés par le rayonnement de leur culture et par le génie de leur civilisation. Avec les Espagnols, il s’agit, par contre, d’une empreinte profonde, d’une véritable emprise qui s’exerce sur l’intellect, sur le cœur et sur l’âme. Toute l’ambiance tunisienne reflète cette empreinte et perpétue la sensation de cette emprise. L’hispanité s’est infiltrée si avant dans l’être du Tunisois, elle s’est répandue si abondamment dans son horizon quotidien, que ses échos retentissent, à peine atténués par le temps, à chacun de ses pas, à plus d’un de ses actes.

Au cours de cette promenade, à travers Tunis, à laquelle nous vous convions, il vous sera aisé de rencontrer, à chaque coin de rue, un monument espagnol, un nom vous rappelant la Catalogne ou l’Andalousie, un usage ibérique que plusieurs siècles n’ont pas rendu caduc ; des quartiers entiers vous rappelleront telle période, calme ou mouvementée, tel événement historique faste ou néfaste, mais, chaque fois, c’est l’Espagne qui s’impose à votre attention, cette terre d’enchantement où, pendant huit siècle, trois communautés pratiquant trois religions différentes réussirent le miracle d’élaborer de conserve, dans la sérénité et l’harmonie, l’une des civilisations les plus merveilleuses, les plus exaltantes de l’Humanité, jusqu’au jour où l’euphorie de l’entente, fâcheusement dissipée, l’exode de plusieurs milliers de familles espagnoles de confessions musulmane et juive mena ces dernières à Tunis, où elles trouvèrent à s’établir sans difficulté. Il s’agit évidement de l’exode massif consécutif à l’Edit de Philippe III de 1609. Mais l’influence espagnole remonte à de nombreux siècles antérieurs, comme nous allons le voir.

Nous laisserons évidemment de côté les périodes carthaginoises et romaines, en raison de leur éloignement dans le temps. Les Vandales, qui ont donné leur nom à l’Andalousie (Vandalousie), ne font que traverser le détroit de Gibraltar, avant la lettre, se répandent en Afrique du Nord, et, une fois maîtres de Carthage, prennent la mer vers l’Est. Moins d’un siècle après leur arrivée, ils ne sont évanouis dans la nature et leur trace est perdue.

La conquête arabe en Afrique a pour résultat le déplacement du centre de gravité qu’occupait Carthage, vers la nouvelle capitale Kairouan. Tunis érigée en Chef-lieu du Nord Tunisien, devient la seconde capitale de la Tunisie mais, dans les relations de la Tunisie avec l’Espagne, c’est Kairouan qui détient, et de très loin, le rôle de plus actif. C’est en effet par cette dernière cité que transitent tous les pèlerins espagnols et maghrébins. Sans compter que, comme centre culturel, elle était devenue d’une importance que Tunis n’était pas prêt de lui disputer. C’est seulement au XIIè siècle que Tunis supplantera Kairouan comme capitale de la province orientale de l’Empire almohade. Capitale, par la suite, du royaume hafside, Tunis conservera, jusqu’à aujourd’hui, comme héritière de Carthage, cette situation privilégiée.

C’est elle que les Banou Ghaniya, princes de Majorque, convoiteront pour y rétablir le pouvoir des almoravides, déchus au Maghreb et en Espagne, après la fondation du califat almohade. Pendant plusieurs lustres, à la fin du XIIè siècle, les Banou Ghaniya battront la campagne tunisienne dans tous les sens ; ils mèneront longtemps la vie dure aux gouverneurs almohades avant de chasser celui de Tunis et d’entrer enfin dans la ville. Leurs incursions répétées à travers le pays, avaient motivé, coup sur coup, le déplacement, depuis Marrakech, des califes Abou Yaakoub Youssef et Abou Youssef Yaakoub al-Mansour. La prise de Tunis, qui revêtait un centre de gravité exceptionnel, allait amener ici le calife an-Nacir qui met définitivement fin au menées des majorquins, lesquels se réfugient dans le Sud-Tunisien où ils poursuivirent une carrière sans issue. Pressentant une fin proche et sans éclat, leur chef survivant, Yahia, confie ses filles au nouveau souverain hafside, Abou Zakariya Ier, son ennemi de la veille. Ce dernier les accueille avec tous les honneurs et leur offre un palais près d’une prote de la ville qui prend aussitôt le nom de « Bab al-Banat » (Porte des Filles). C’est un toponyme qui s’est conservé jusqu’à nos jours, un toponyme qui rappellera aux générations futures, avec combien d’attendrissement, que, dans ce quartier de Tunis, avaient vécu et étaient mortes et ensevelies des princesses originaires de Majorque, qu’un destin malheureux avait poussées en cette terre d’asile.

Mais Abou Zakariya Ier, que nous venons de nommer, n’avait-il pas été gouverneur de Séville, avant de venir à Tunis, c’est précisément à lui que l’on doit cette belle mosquée dont l’élégant minaret domine, dans notre cité, les hauteurs de la Kasba. Cette tour, qui marque pour l’art tunisien une orientation nouvelle où le style hispano-maghrébin prend des allures prépondérantes, cette tour est une réplique, à peine aménagé, des trois minarets almohades exécutés de main de maître par le même architecte : la tour de la mosquée Koutoubia à Marrakech, la tour Hassane à Rabat et enfin, la Giralda qui domine aujourd’hui la cathédrale de Séville.

Au temps de Abou Zakariya Ier, les progrès de la Reconquista se précipitent. Tout le monde  musulman voit déjà en lui un champion possible de l’Islam. Les musulmans d’Espagne voient en lui surtout un sauveur. Valence menacée adresse, par la voix de l’historien Ibn al-Abbar, un signal de détresse. Abou Zakariya, à défaut de corps expéditionnaire, envoie des subsides. Mais, quand ils arrivent à destination, Valence est prise par Jacques Ier d’Aragon et les subsides sont interceptés par les chrétiens. Murcie est aussi tombée et l’émir qui la gouvernait, Mohammad er-Ramimi, ira chercher asile à Tunis où il fondera, pour les réfugiés qui l’accompagnent, un vaste quartier, connu encore aujourd’hui sous le nom de quartier Hammam er-Remimi. Ce chef mènera, jusqu’à la fin de ses jours, une vie exemplaire. A sa mort, il sera enterré au cimetière Sidi Abdel Aziz de La Marsa où l’on peut encore lire une belle épitaphe – déplacée – qui ornait sa tombe.

Nous venons de faire là un saut brusque, jusqu’à cette banlieue nord de Tunis. Demeurons ici encore un peu et poussons notre promenade jusqu’au coquet village de Sidi Bou Saïd. Ce nom lui vient précisément du saint personnage qui y est enterré : Abou Saïd al-Baji auprès de le grand mystique espagnol, Ibn Arabi de Murcie, avait fait un séjour prolongé. Les séances de travail avaient lieu du côté de Dar Zarrouk, à l’endroit dit Koursi as-Soullah (le siège des Saints) car, outre Ibn Arabi, d’autres personnages assistaient à ces réunions pieuses. On peut présumer que Ibn Arabi, très influencé par le cartésianisme, avant la lettre, d’Ibn Rochd (Averroès), n’a pas manqué d’influencer, à son tour, l’école mystique de Tunis. Si le maître de Murcie ne manque pas, dans deux de ses épîtres, de rendre hommage à son maître Abou-Saïd, comme il le dit explicitement, si, par conséquent, il renonce, dès le principe, à vouloir exercer sur lui, une quelconque influence. Il ne manquera pas de l’exercer profondément, par contre, sur un jeune disciple d’Abou-Saïd, celui qui devra brillamment s’illustrer sous le nom d’Aboul Hassan ach-Chadhuli. Tunis aura, en la personne de ce dernier, un continuateur direct des enseignements d’Ibn Arabi, comme Barcelone aura, en la personne de Raymond Mull, une génération plus tard, un mystique chrétien disciple du même maître de Murcie.

Faut-il noter qu’Abou Saïd et d’autres compagnons avaient à l’accoutumé, quelque temps avant l’arrivée d’Ibn Arabi, à Tunis de se réunir autour d’un maître espagnol, Abou Madiyan Chouaïb, mort à la fin du VI siècle H/IIe J.C. et enterré aujourd’hui sur la colline d’Al Obbad, près de Tlemcen. Les réunions avaient lieu, à Tunis, dans une petite mosquée du Souk Es-Sakkajine (quartier Bab Ménara). Et dans un autre oratoire près d’El Hajjamine (quartier Bab Jedid). Cet Oratoire, connu aujourd’hui sous le nom de mosquée Sidi Madyan perpétue, depuis bientôt huit siècles, le nom du grand maître espagnol.

Le XIIIe siècle qui voit passer, coup sur coup, Cordoue, Séville et Valence, sous la domination chrétienne, voit également affluer, à Tunis, la fine fleur de la société de ces villes, attirée tout autant, par le souci de s’assurer un asile sûr et de chercher fortune auprès des princes hafsides. Auprès d’Abou Zkariya Ier, puis auprès de son successeur, Al-Moustansir, proclamé calife, entretemps, beaucoup furent totalement nantis. Quelqu’uns furent appelés aux plus hautes charges, ministres, chambellans, généraux, etc… tels Ahmad al-Ghassani, Ibn al-Abbar, Ibn Asfour de Séville, Ibn Aboul Husseyn, etc… Ce dernier est nommé à la tête d’une garnison de Musulmans espagnols cantonnée à Radès. Il appartenait à cette fameuse famille d’Ibn Saïd dont plusieurs générations se relayèrent pour réunir l’anthologie des poètes espagnols intitulée « Al-Moghrib fi Houla al-Maghrib ». Ils étaient en Espagne, les maîtres du fief de kalaat Yahsob (قلعة يحصب) aujourd’hui Aloala la Real.

C’est la période que choisit également la Chrétienté, pour s’intéresser à la Tunisie. Barcelone, en particulier, y entrevoit la possibilité d’établir des relations commerciales avantageuses avec le souverain hafside de Tunis. Les ambassades catalanes et aragonaises se suivent avec fréquence. Bientôt les commerçants espagnols auront leur fondouk près de Bab el-Bahr (la « Porte de la Mer »). Cet établissement, comme on le sait, est à la fois une hôtellerie, un entrepôt et un consulat. Eglise, banque, tribunal, four à pain, etc…, assurent les services de première nécessité à la communauté. Mais ce que les ambassadeurs réussissent d’important à obtenir c’est que le prince tunisien aura pris à son service une milice catalane qui est installé dans un quartier, dit quartier El-Oulouj,  aménagé sous les murs de la Kasiba et s’étendant, sur le Boulevard du 9 Avril, depuis le Palais de Justice jusqu’à l’Hôpital Charles Nicolle. Le quartier n’existe plus aujourd’hui, mais la porte qui fermait l’enceinte dans laquelle il était enserré, disparue seulement depuis quelques années, était encore dite « Porte des Oulouj ». Aujourd’hui, d’ailleurs, cette dénomination continue d’être en usage et elle désigne toute la zone environnante. Là existait encore, il y a quelques années, un petit enclos, à l’intérieur duquel quelques tombes, toutes simples, étaient l’objet d’une certaine vénération, elles étaient réputées être celles des « filles majorquines » dont on a parlé plus haut.

Pas loin de là, commencent à se profiler les élégantes piles de l’aqueduc arabe du Bardo, construit par le Hafside Al-Moustansir. Sait-on que cet ouvrage hydraulique fut célébré par un poème de 1000 vers, composé par Hâzim al-Kartajanni (Hazim de Carthagène) et qu’il fut très abondamment commenté par Ach-Charif al-Gharnati (Ach-Charif de Grenade), personnages qui, sans aucun doute, avaient quitté l’Espagne pour servir à la Cour de Al-Moustansir.

Le Bardo ? Mais n’est-ce pas la transcription arabe d’El Pardo, l’actuelle résidence de S.E. le Généralissime Franco ? Création du XIIIe siècle, l’immense parc dit « Jardins d’Abou fihr et de Ras et-Tabia » qu’al Moustansir aménagea, au Nord de Tunis, à l’image des (Agdal) almohades du Maroc et d’Espagne, cet immense parc allait sur plusieurs km, des  hauteurs de la kasba jusqu’à l’Ariana, et jusqu’à la Soukra et à Ouad Ellil, sur la route de Tébourba. Il englobait, par conséquent, les jardins actuels de la Manouba. Beaucoup des dames de la Cour hafside, qui étaient chrétiennes, et certaines d’entre elles, plus spécialement espagnoles d’origine, se rendaient couramment dans ces jardins, protégées des curieux par deux rangées de murs allant de la kasba, leur résidence royale, jusqu’aux plus profond des futaies de l’agdal. Les auteurs nous racontent avec complaisance leurs ébats à l’ombre de ces hautes futaies et dans les immenses bassins (alberca) où elles s’amusaient à renverser réciproquement les aimables embarcations sur lesquelles elles se laissaient bercer au rythme d’une brise languide dont la monotonie, au bout de quelques instants, finissait par inviter à l’action, à une action malicieuse et charmante dont seuls souffriront les rutilants atours de brocart brodé. Il faut croire que, non loin de là, se trouvait le pavillon où ces dames prenaient la collation après s’être longuement reposées des ardeurs de leurs jeux et, c’est sans doute à cette époque, que les Espagnoles parmi elles donnèrent à ce coin édénique le nom d’El Parlo, transcrit, en arabe, sous la forme Bardou.

Mais la fin des Hafsides approche. L’Espagne musulmane, à la fin du XVe siècle, est entièrement reconquise, et la chute de Grenade (1492) amène à Tunis des groupes compacts de réfugiés espagnols. Si la plupart d’entre eux s’intègrent dans la population locale, quelques groupes choisissent de vivre en marge de la société tunisienne, au sein de petites républiques maritimes indépendantes, à Bizerte, à Ghar al-Milh (ex-Porto Farina) et à la Goulette où ils s’organisent pour courir sus aux bateaux espagnols. Une nouvelle forme de guerre, le prolongement de la lutte soutenue en Espagne, allait s’engager en mer. On craint même un retour en force en Espagne des Musulmans expatriés, aidés en cela par les Turcs qui venaient de faire leur apparition dans le secteur. C’est pourquoi les Espagnols décident d’occuper les côtes africaines afin de conjurer toute menace d’invasion de la péninsule et cela, à partir de ces côtes mêmes. L’arrivée de Charles Quint à la Goulette est une action décisive pour l’implantation, sur les rivages tunisiens, de nombreuses garnisons espagnoles et la construction de forteresses et de citadelles, dont la plus formidable est celle de la Goulette. C’était un ouvrage de plan pentagonal dont le fort actuel n’est qu’une faible partie. L’île de Chikli, toute proche, est pourvue également d’un fort que les Turcs, par la suite, modifient à peine. Ainsi est introduit dans ce pays un système de fortifications inconnu auparavant. Par la suite, c’est la lutte gigantesque entre Turcs et Espagnols qui atteint son paroxysme à la bataille de Lépante en 1571. Bataille qui se termine à l’avantage de ces derniers. Mais, trois ans après, les Espagnols quittent néanmoins le littoral tunisien et y sont remplacées par les Ottomans. En Espagne, les Morisques, poussés à bout par des tracasseries de toute sorte, multiplient les révoltes et menacent d’amener les Turcs à la rescousse. Aussi, le roi Philippe III décide-t-il d’en finir et son Edit de 1609 est le signal d’un exode massif qui atteint plusieurs centaines de milliers de personnes, devenues indésirables, qui affluant sur les rivages africains et dont un important contingent arrive à Tunis où il est bien accueilli par le souverain Othman Dey. Les nouveaux venus apportaient à la Tunisie le concours de multiples capacités sur le plan artisanal et même industriel, et sur le plan agricol. Mais ils vont s’imposer beaucoup plus, et d’une façon encore sensible de nos jours, dans le domaine culturel, en transformant profondément la vie tunisienne et en l’hispanisant très largement.

Ces colonies espagnoles, arrivant groupe par groupe et sont installées à Tunis, dans différents quartiers de la ville. Après avoir épuisé tout espace disponible à Ras ed-Darb, où ils installent leur Morkad (Mercado = marché), les nouveaux venus s’étalent au foubourg de Bab Souika où ils constituent le quartier des Andalous, au voisinage des Espagnols arrivés au XIIIe siècle avec Ar-Ramimi. La zone des jardins extra-muros est bientôt envahie. On donnera au quartier ainsi crée un nom espagnol (Vega) vocable transformé en arabe en Biga. Bientôt, on installera des tentes sur les terrains marécageux des faubourgs nord et sud. Ce sont les deux quartiers ‘as-Sabkha » ou « Salines » actuels. Dans celui de Bab al-Jajira se trouve encore le mausolée d’un saint nommé Sidi Ali Al-andalousi. Le cimetière des Andalous par excellence était celui de Bab  El-Khadra. C’est là, en particulier, que fut enterré celui que Chateaubriand appelle le « Dernier Abencerage ». On sait que cette famille des Banou as-Sarraj (Abencerage) joua un rôle important à la cour de Grenade, quelque temps avant la chute de cette dernière, en 1492. On ne sait à quelle époque elle se replia sur Tunis ; mais nous savons qu’elle changea de nom ici et devint la fort honorable famille (Al-Wazir) qui compte aujourd’hui de nombreux lettrés et surtout un poête consacré. A l’intérieur de la cité, un autre quartier, dit encore « Quartier des Andalous », semble avoir été occupé par les réfugiés de marque.

La répartition des nouveaux venus ne donna lieu à aucune difficulté : les ruraux reçurent tous les domaines abandonnés dans lesquels ils créèrent des villages agricoles, sur le mode espagnol. Dans les environs immédiats de Tunis, ce furent l’Ariana, la Soukra, les jardins proches du Bardo, ceux de la Manouba et, à proximité, la Zone connue aujourd’hui sous le nom de (Al-Haraïriya) où des spécialisation de l’élevage des vers à soie avaient planté d’innombrables mûriers.

Mais c’est dans l’artisanat et le commerce que s’opéra, plus qu’une relance, plus qu’une renaissance, un véritable départ. L’expansion du bonnet rouge, appelé (Chéchia), prend des allures de raz-de-marée, dans la zone économique de Tunis. Les souks des chéchias profilèrent et s’étendent de plus en plus. Les patrons emploient une nombreuse main-d’œuvre spécialisée, mais donnent également du travail à domicile à d’innombrables auxiliaires féminins et masculins (tricot, teinture etc…) Pratiquement, la fabrication de la chéchia est devenue la manne nourricière d’une très large partie de la population de la ville, en même temps qu’elle alimentait abondamment le commerce intérieur et extérieur de la Tunisie. Rien d’étonnant à ce que l’amine (syndic) de la profession soit vite devenu le principal personnage de la cité, l’édile le plus important du « Conseil des Dix » représentants des intérêts de la population tunisoise. Mais c’est aussi la prépondérance assurée à toute la colonie morisque dont l’élégance vestimentaire, la fine gastronomie, la fortune en imposent aux autochtones. Le Souk el-Kouafi fabrique sans répit de délicieuses « coiffes » pour ces dames venues d’outre-mer. Les nombreux ateliers de tisserands leur fabriquent une gamme d’articles tout faits et d’étoffes dont la soie est dispensée sans parcimonie par les éleveurs de ver à soie d’El-Haraïriya de la Manouba.

La ville regorge maintenant de personnes qui parlent un idiome nouveau où l’arabe se mêle à l’espagnol ; la fabrication de la chéchia a introduit surtout une terminologie professionnelle nettement castillane. On n’entend plus parler que de « cabiça-banco » (cabezza-banco), que d’el-Batan, et que d’ouvriers exécutant différents travaux comme « cardar » « croudar », « affinar », et combien d’autres termes espagnols dont on n’emploie nullement les correspondants en arabe.

Mais l’onomastique espagnole ne fait pas une moins large incursion à Tunis. Les gens s’appellent maintenant Catlane (Catalan), Sancho, Bonatiro, Mado (Amador), Grandel, Manacho, Blanco, Nigrou, Coundi (El-Conde). D’aucuns portent des noms de villes espagnols, tels les Térouel, les Ouichka (Huesca), les Karabaka (Caravaca), les Soria (de Soria) etc… Beaucoup de familles ont déjà arabisé leurs noms ethniques comme les Kortobi (de Cordoue) les Ichbilli (de Séville), les Alakanti (d’Alicante), les Malqi (de Malaga), les al-Mounakkabi (de Almûnecar),  etc….

On notera, à propos du nom d’un poète tunisien Mahmoud Qabadou, le rapprochement avec QUEVEDO. La famille tunisienne de Los Rios a changé récemment et paradoxalement son nom en celui de (Kchouk), de consonance nettement turque.

La cuisine tunisienne s’est enrichie par le banadij (empanadas), la ojja (qui est la olla catalane ou valencienne) le Kisales et le Koyeres, pour lesquels on ne peut proposer aucun rapprochement, pour le moment.

Quant à la musique, il nous est loisible encore d’écouter les airs mélancoliques du « malouf » où l’on chante les beautés du pays qui berça la jeunesse des Morisques débarqués un jour sur cette terre tunisienne. La parenté est évidente avec le « cante hondo » de l’Andalousie actuelle et le « canto fondo » catalan. L’usage du terme même de « foundou » est d’ailleurs appliqué ici à un gente particulier du chant introduit par les Morisques. Il est à étudier dans quelle mesure notre malouf n’est pas proche et même inspiré de la musique liturgique chrétienne de l’Espagne du XVe siècle.

Tout autant que l’onomastique, la toponymie ancienne s’est trouvée bousculée par des toponymes espagnols tels que Biga (=Vega), Morkadh (= Mercado), Bardo (=Parlo), etc …

Mais là où les Morisques ont laissé des traces vivantes, solides, matériellement présentes, c’est dans les monuments qui on été construits par leurs maîtres d’oeuvre et surtout dans le style particulier dont ils assurèrent le succès et la pérennité, ce style qu’on retrouvera, à partir du XVIIe siècle, dans toute maison tunisienne de type traditionnel, quelle que soit l’époque à laquelle elle a été construite. On peut donc dire, que dans la partie ancienne de Tunis, la vieille Médina, les habitants n’ont jamais cessé de vivre dans un cadre andalou. L’Espagne est également bien présente dans les édifices religieux de Tunis. La loggia monumentale qui confère tant de grandeur à la façade de la grande mosquée de Tunis et qui donne sur le souk El Fakka, est l’œuvre de l’Andalou Ibn Ghalib Comme en fait foi l’inscription de fondation. A ce même Ibn Ghalib al-Andoulousi est attribué le beau mausolée funéraire de la mosquée Youssef Dey. Nous pouvons affirmer que beaucoup des ouvrages architectoniques qui font aujourd’hui  la fierté de Tunis sont dus à des Andalous. On signalera deux familles d’architectes de monuments historiques musulmans : ce sont les Nigrou et les Blanco dont les derniers rejetons sont morts, l’un avant la dernière guerre, l’autre quelque, années après.

+= §*§=+

Ainsi que nous l’avons annoncé au début de cette promenade et ainsi que nous venons de le voir j’espère ne pas avoir exagéré l’importance de cette présence espagnole à Tunis, une présence vivante, vivace, ancrée pourrait-on dire sur notre sol et dans nos esprits.

Est-il d’atout plus efficace, plus prometteur, en cette semaine de jumelage de Barcelone Tunis, pour que la poursuite des rapports communs entre les deux villes, entre les deux peuples des deux rives, trouvera à jamais le même climat de confiance d’estime et d’amitié dont les journées que nous vivons actuellement nous donnent un exemple éclatant. Nous le souhaitons vivement. Bien plus, nous le voulons et c’est parce que nous le voulons que cela sera, nous en sommes persuadés.


 
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