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On a insisté sur l’aspect pionnier de Slimane Mustapha Zbiss ; j’y reviendrai. Mais ce qui me parait plus fort encore chez lui, c’est sa qualité humaine. Il fut un chercheur de grande passion œuvrant dans des conditions souvent difficiles. Surtout, il y a toujours témoigné d’une chaleur inoubliable dans l’amitié et même à l’endroit des jeunes que nous étions. Lorsqu’il y a un peu plus de 40 ans maintenant, j’étais appelé à lui succéder à al-Mansuriya, je suis aussitôt allé lui en parler dans sa maison si charmante. Et je n’oublierai jamais la générosité de son accueil et sa joie de partager une de ses découvertes majeures, le palais sud-est de la ville. D’autres sont plus aptes que moi pour dire ce qu’il a apporté à notre connaissance de Tunis mais je ne saurais oublier, par delà le patrimoine qu’il savait faire goûter, son amour de la ville, de ses métiers et nos incessantes découvertes seulement interrompues par un déjeuner dans un de ces petits restaurants de la médina ou de la ville proche dont il avait le secret. D’autres ont pratiqué une archéologie solennelle de sites ; avec Zbiss c’est une archéologie à la rencontre de l’histoire des hommes et de leur cadre de vie qui s’est imposée en Tunisie. A évoquer l’homme chaleureux capable aussi bien d’assumer l’austérité du chantier que d’être un bon vivant, je ne peux m’empêcher de rappeler la cahute de fouille qui était la sienne à Sabra, loin de tout, monacale. Elle est un premier signe de cette archéologie des années cinquante du siècle passé où l’effort sinon l’héroïsme étaient quotidiens. Il m’avait rappelé qu’en fouillant le palais de Sabra, il avait vu arriver, marchant vers Kairouan sur la piste de Sidi Ammor une silhouette familière. C’était Marcel Solignac qui préparait son étude sur l’hydraulique ifriqiyenne et qui prospectait à pied Raqqada et les 40 km. d’aqueduc qui avaient relié — par al-Mansuriya — Kairouan à Bir al-Adin. C’est cette archéologie d’hommes de cœur tout entiers dévoués à leur tâche que nous fait revivre le souvenir de Slimane Mustapha Zbiss * * * Son œuvre, très vaste, est résolument polymorphe de la fouille de terrain à l’épigraphie. Je ne l’évoquerai, pour ne pas vous lasser, que par son apport à notre connaissance de haut Moyen Age. Il a su prendre le relai et participer d’une équipe méditerranéenne soudée par une indéfectible et amicale complicité : je pense, bien sûr, à Sidi Hasan Abdulwahab, à Georges Marçais, à mon père ou encore à Leopoldo Torres Balbas. La « zawiya » comme ils se désignaient entre eux. Si nulle hostilité déclarée n’existait entre les Antiquisants ou Punicisants et les Islamisants, les « Romains », comme on disait, tenaient le haut du pavé et considéraient volontiers les médiévistes — Zbiss en tête — comme gens de peu. Le travail de Slimane Mustapha Zbiss, riche surtout de soutiens extérieurs situés surtout à Alger ou à Rabat, a donc eu le mérite d’aller à contre-courant et, reprenant les intuitions des sondages Marçais des années vingt, de nous révéler en particulier les chefs d’œuvre du premier âge fatimide. Nous avons tous à l’esprit ses fouilles d’al-Mahdiya ou d’al-Mansuriya qui ont fait date. On ne saurait en effet oublier, cette archéologie pionnière et les architectures de partis inédits qu’elle a mises au jour. Elles nous démontrent des liens remarquables : l’entrée ou la cour du palais d’al-Mahdiya et les salles de Sabra sont aux sources du plan du palais de Ziri à Ashir ! Mais par delà ces découvertes, Zbiss, a fait sur le site de « Sabra » des trouvailles exceptionnelles sur l’industrie du verre ou encore sur le niveau artisan développé sur le palais avec des fours qui ont été une révélation sur les techniques usitées et, en particulier, sur la cuisson en atmosphère réductrice, source incontournable du lustre. Il faut lui rendre toutes ces découvertes au moment où d’autres ont tenté de se les approprier. On a intérêt, aussi, à relire attentivement les nombreux articles de Slimane Mustapha Zbiss : ils rappellent avec quel œil aiguisé, il savait observer. Pensez seulement à son article sur la grande mosquée de Sousse, privée de ses ziyadas et simplifiée, si j’ose dire, par des restaurations trop vigoureuses. Son observation de la partie aghlabide du monument et des voûtes en berceau qui la couvrent le conduit à y reconnaitre une mosquée originelle correspondant à la partie centrale de la salle de prière. Avec finesse et logique, il nous a ainsi rappelé que l’umma, dans une ville islamisée, avait sans retard besoin d’une grande mosquée le vendredi à l’heure de la khotba. Cette leçon est à reprendre pour nos analyses de nombre de nos grandes mosquées. Ce seul détail nous rappelle tout l’apport souvent oublié de l’œuvre méticuleuse de Slimane Mustapha Zbiss * * * Nous comprenons ainsi la portée internationale de son travail : par lui une proto-archéologie médiévale tunisienne a été présente au monde savant et d’abord à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres qui avait bien voulu entendre ses résultats. Zbiss savait défendre ses positions. Il me souvient de mon premier Congrès international des Orientalistes, à Cambridge, en 1954. C’était le moment où se développait aussi l’archéologie algérienne de la grande prêtresse de Sadrata, Marguerite van Berschem. Il en résultait une lutte incessante entre la tenante de l’ibadisme et le découvreur de nos Fatimides. Richard Ettinghausen ou mon père devaient souvent l’arbitrer. Mais, même en face d’un personnage aussi résolu que la genevoise Marguerite van Berchem, Slimane Mustapha Zbiss savait imposer ses vues. Comment, pour finir, ne pas évoquer Zbiss, l’andalou, de son Centre de la place du Château aux colloques de culture hispano-musulmanes organisés chaque année en Espagne par Luis Seco de Lucena. Le choix de cette ville emblématique est particulièrement judicieux pour cet hommage car, là encore, avec ténacité Slimane Mustapha Zbiss a rappelé par ses travaux, l’importance des liens de l’Ifriqiya et de l’Islam andalou. * * * Homme de cœur animé d’une rare passion de la recherche qui ne s’est jamais démentie, Slimane Mustapha Zbiss fut un chaleureux ibéro-maghrébin, reconnu de ses collègues spécialistes de la Méditerranée et, aussi, un ami indéfectible. Il est pour nous un grand ancien qui, au milieu du XXe siècle, avait su se saisir du relai qu’il nous a ensuite transmis avec générosité. Il doit nous apparaître — toute son œuvre l’atteste — le fondateur d’une nouvelle archéologie islamique tunisienne. Michel TERRASSE Institut méditerranéen Sorbonne, Paris
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